Les médecins qui partent ne manquent pas tant de postes à combler que d’affectations qui leur plaisent.
Claude Villeneuve Samedi, 25 janvier 2020 05:00
Décidément, ce n’est pas facile de contenter les médecins.
Le Journal révélait la semaine dernière que parmi les Québécois qui font le choix d’aller s’établir ailleurs, il y a un bon nombre de jeunes médecins formés à forts coûts avec des fonds publics. Tout comme Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), et Jean-Pierre Dion, porte-parole de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), ils expliquent leurs décisions en ciblant les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). Ceux-ci sont établis par le gouvernement pour assurer une desserte adéquate de toutes les régions.Bref, les médecins, non seulement il faut qu’on les paye cher, mais on ne peut pas leur dire où aller travailler.
Envie de se pincer
Les Québécois sont talentueux et rien ne les empêche, quel que soit leur domaine d’activité, d’aller s’épanouir ailleurs. Sauf que les médecins, ils nous coûtent très cher à former.
Un jeune qui s’inscrit à un programme de médecine demande en fait au Québec d’investir 274 416 $ dans sa formation générale ou 508 290 $ s’il choisit de se spécialiser, selon le ministère de la Santé. Sachant cela, on a envie de se pincer devant le commentaire d’une médecin partie à Vancouver parce qu’elle ne voulait pas travailler en région : « Des fois, je me dis qu’ils n’en veulent pas de médecins ! »
Dans certaines régions, le simple fait de garder une urgence ouverte peut être un combat quotidien. Avec un territoire comme le nôtre, ça va de soi que le gouvernement doit s’assurer qu’il y ait une couverture.
Une fois qu’on a dit ça, il est vrai que les règles, quand elles manquent de flexibilité, peuvent nous priver de l’expérience de gens qui ont envie de travailler. On pense à cette jeune médecin qui aurait aimé, entre ses remplacements en région, pratiquer aussi à Québec. Elle est désormais en Australie.
On nous parle aussi de médecins hyper spécialisés qui n’arrivent pas à trouver un établissement où leurs compétences pointues sont demandées. Sauf que de ne pas avoir accès au poste que l’on convoite dès sa sortie de l’école, c’est quelque chose qui arrive dans tous les champs d’études.
Flexibilité
On s’est aperçu il y a quelques années que les régions étaient mal desservies. Alors on a instauré des schémas de couverture. On a ensuite constaté que les médecins étaient nombreux à quitter le Québec. On les a donc mieux payés. Maintenant, il y en a encore qui partent. Et on ne parle pas encore des touristes qui viennent de l’étranger pour être formés dans nos facultés de médecine et qui repartent aussitôt vers l’Ontario.
L’idée qui revient constamment d’exiger un remboursement des coûts de leur formation aux médecins qui partent est un miroir aux alouettes qui ne reflète que le fait qu’il est difficile de faire du recouvrement auprès de quelqu’un qui vit aux antipodes.
Ça va prendre un nouveau contrat avec les médecins. Le gouvernement doit revoir ses règles pour permettre que les médecins qui veulent travailler au Québec puissent le faire. Sauf que les porte-parole de la FMSQ et de la FMOQ brandissent eux-mêmes des chiffres du ministère de la Santé démontrant qu’il manque encore 1417 médecins au Québec. On manque d’omnipraticiens, d’anesthésistes et de chirurgiens généralistes ; en régions périphériques, mais aussi dans le Grand Montréal.
Les médecins qui partent ne manquent pas tant de postes à combler que d’affectations qui leur plaisent.
Le Dr Simon-Pierre Landry, chef de département à l’hôpital de Sainte-Agathe, proposait en novembre dernier de décentraliser les embauches vers les régions, plutôt que de continuer de tout planifier au ministère. La flexibilité qu’il faut pour permettre au plus grand nombre de se placer, elle est peut-être là.
Relation compliquée
Il faut constater que les associations professionnelles des médecins se sont montrées beaucoup plus créatives dans leurs revendications au moment d’inventer de nouvelles primes que d’assurer une meilleure couverture de soins. À la fin, la relation du Québec avec ses médecins reste compliquée.
Et demeure l’impression renforcée par la réforme Barrette que notre système de santé est géré par et pour les médecins. Ça n’a pas changé avec la CAQ, qui a trouvé le moyen de faire applaudir les spécialistes en ramenant leur rémunération au même niveau que celle de leurs collègues ontariens. Qu’on ait cessé d’affirmer vouloir retrancher un milliard à leurs émoluments y est sans doute pour quelque chose. Peut-être un jour quelqu’un se rappellera que de soigner du monde partout sur le territoire du Québec est davantage la finalité de notre système de santé que de permettre à des gens de faire du ski alpin à temps partiel.