Karine Gagno Lundi, 29 mars 2021 05:00 - Pour des raisons défiant toute logique, le gouvernement du Québec est en train de saboter un fleuron de la région,
https://www.journaldequebec.com/2021/03/29/un-fleuron-quebecois-menace
l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, avec des conséquences catastrophiques pour les patients.
En situation de pandémie, bien des dossiers passent sous le radar. Le cas de l’IUCPQ, centre de recherche et d’innovation de renommée internationale, en représente un exemple patent et inquiétant.
Référence mondiale, le centre surspécialisé installé à Québec est victime du rouleau compresseur de centralisation des laboratoires de biologie médicale Optilab.
Ce système, dont l’implantation sera complétée en 2024, prive les médecins hyperspécialisés de l’IUCPQ de leur autonomie, en démantelant leur capacité d’intervention.
Ainsi, même s’ils disposent de tout l’équipement, et sont beaucoup plus rapides et efficaces, les spécialistes se voient désormais interdits d’effectuer plusieurs tests, pour un prix pourtant identique et même souvent plus avantageux qu’Optilab.
«Pour les patients avec un cancer du poumon, chaque journée compte, donc chez nous, tout est fait pour que la trajectoire soit la plus courte possible avant le début du traitement. On a l’expertise, mais on se bute à des embûches et des lourdeurs administratives avec Optilab. Cela a un impact sur la survie de nos patients», souligne l’un de ses éminents spécialistes, le Dr Philippe Joubert, pathologiste.
Triste exemple
Des tests qui pouvaient être effectués dans les laboratoires de l’Institut en quelques heures ou quelques jours prennent désormais beaucoup plus de temps, ce qui a un impact considérable pour les patients.
Et ce n’est malheureusement qu’un début, alors que la centralisation s’intensifie.
Par exemple, les analyses moléculaires pour le cancer du poumon, dont les résultats étaient obtenus en deux jours à l’IUCPQ, qui était à l’avant-garde dans le domaine, prennent désormais entre 10 et 20 jours.
Les traitements doivent alors être retardés, alors que le taux de mortalité est très élevé.
L’histoire de Gina Salvatore, décédée l’an dernier d’un cancer du poumon, illustre tristement ces effets collatéraux. Le Dr Joubert, qui l’a accompagnée avec sa famille, accepte difficilement de ne pas avoir pu lui offrir le maximum de services.
Mme Salvatore, 57 ans, mère de deux enfants qui n’avait jamais fumé, a reçu un diagnostic de cancer du poumon très avancé.
Les délais prolongés pour obtenir des résultats l’ont empêchée de participer à une étude qui aurait pu la sauver ou à tout le moins lui permettre de prolonger ses jours.
«On a tout ce qu’il faut, on a un pathologiste qui est allé se faire former aux États-Unis, on a développé le test pour faire ça, mais on n’est plus autorisé à les faire», dénonce le Dr Joubert, pour qui de tels cas sont inacceptables et frustrants.
«Révoltée»
Lucia Salvatore, sœur de Gina, vit depuis avec l’idée que sa sœur aurait pu être sauvée, et que d’autres personnes ont subi et subiront le même sort.
«Je suis révoltée, lance-t-elle. Quand on est malade au Québec, on ne devrait pas avoir à se battre ainsi pour avoir accès à des analyses ou des traitements.»
À la Coalition priorité cancer au Québec, qui représente 60 OSBL œuvrant dans le domaine, la directrice générale Eva Villalba souligne que le savoir-faire de l’IUCPQ doit être reconnu.
«Ils ont la capacité de faire des tests plus poussés, personnalisés, et ça donne les résultats les plus efficaces, souligne-t-elle, et on est en train de dire qu’on préfère garder le système bureaucratique? Je n’ai pas entendu de bonnes raisons.»
Le ministre Dubé interpellé
Excédés, les experts de l’Institut, un établissement autonome, souhaitent récupérer l’autonomie de leurs laboratoires. Depuis des mois, ils lèvent la main pour se faire entendre, en vain.
«L’argument qu’on nous sert au ministère, d’indiquer le Dr Joubert, c’est qu’on ne veut pas créer de précédent, mais pourtant l’Hôpital Sainte-Justine a pu récupérer l’autonomie de ses laboratoires. Et puis, j’aime penser, comme Québécois, payeur de taxes et utilisateur des soins de santé, qu’on veut créer des précédents quand ils sont positifs pour notre population.»
Malgré des demandes répétées, les médecins et gestionnaires de l’IUCPQ n’ont toujours pas pu obtenir une rencontre avec le ministre de la Santé, Christian Dubé.
Tant les données et les faits parlent d’eux-mêmes, le député péquiste Joël Arseneau soupçonne que le ministre Christian Dubé ne soit pas bien au fait du dossier.
«M. Dubé doit absolument prendre acte qu’il y a une institution qui est un fleuron, qui fonctionne bien, et qui pourrait être privée des moyens qui en font une institution exemplaire. Le minimum, c’est qu’il les rencontre.»