Nous ne crèverons pas de sitôt - Joseph Facal

Joseph Facal Jeudi, 9 janvier 2020 05:00, Il m’arrive de me demander si je suis seul au monde à voir ce que je vois. 

https://www.journaldemontreal.com/2020/01/09/nous-ne-creverons-pas-de-sitot

L’industrie du cinéma vise prioritairement le public de 6 à 20 ans. 

Les boutiques de linge n’en ont que pour les jeunes. 

Les partis politiques cherchent désespérément des candidats incarnant le « renouveau ». 

Les médias traditionnels embauchent des jeunes dans l’espoir d’aller chercher cette génération qui habite une autre galaxie et pitonne du matin jusqu’à la nuit. 

Je rigole quand je vois ces jeunes journalistes, dénués de perspective, présenter comme une nouveauté ce qui n’est que la énième version d’un vieux feuilleton. 

Le récit de base sur les vieux tourne autour de leur solitude, du manger mou et d’une fin de vie pathétique dans un CHSLD sinistre. 

On se souviendra aussi du « OK, boomer ! », qui voulait dire : « Allez-papi-dis-ce-que-t’as-à-dire-pour-le-temps-qui-te-reste-mais-fais-pas-trop-chier ».

Réalité 

Pendant les vacances de Noël, une réalité m’a pourtant frappé en pleine face. 

Dans les aéroports, dans les restaurants, dans les musées, dans les magasins, j’ai vu des tas de boomers, voire des gens plus vieux encore, tous en pleine forme. 

Est-ce une fausse impression ? Pantoute. La revue The Economist documentait récemment le phénomène. 

Les boomers, donc ceux nés entre 1945 et 1960 (moi, je suis de 1961), sont la tranche d’âge qui connaît la croissance démographique la plus rapide de toutes. 

Non seulement ils sont en croissance, mais ils sont beaucoup plus riches et en bien meilleure santé que les gens du même âge de jadis. 

Le taux de maintien en emploi des 65 à 69 ans est en croissance rapide. 

Sans les boomers, le tourisme s’effondrerait. 

Ma fille de 18 ans voyage seule en Europe en ce moment. Avec son budget famélique, ce n’est pas elle qui fait vivre les industries du voyage, de la restauration, de la culture. 

Dans le milieu universitaire, la demande venant des aînés pour des cours explose partout. Ils ont soif de connaissances. 

Je soupçonne même que plusieurs baisent comme des lapins. 

Regardez la scène politique. Charest veut revenir à 61 ans. Trump a 73 ans. Biden, Sanders et Warren ont respectivement 77, 78 et 70 ans. 

Actifs 

Mieux encore, ces faits ont des bienfaits bien documentés. 

Le maintien en emploi, le retour aux études, le bénévolat retardent le déclin des facultés intellectuelles. C’est l’oisiveté qui est fatale. 

Une étude allemande trouve que les équipes de travail où plusieurs générations sont associées sont plus productives. 

Tout cela obligera les employeurs et les gouvernements à revoir les régimes d’assurance, les programmes de formation de la main-d’œuvre, les dépenses de santé consacrées à la prévention, et bien d’autres choses encore. 

Pourtant, notre société n’en a que pour l’exaltation de la jeunesse, comme si c’était un mérite. 

Je ne sais pas pour vous, mais moi je ne me sens ni à la veille de crever, ni à la veille de rentrer dans mon trou et de me taire pour de bon. 

Les jeunes vont devoir nous endurer encore un bon bout de temps. Qu’ils se fassent une raison. 

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