Les cancéreux sans pavillon - Mathieu Bock Côté

Mathieu Bock-Côté Mardi, 31 mars 2020 05:00 - La pandémie déstabilise radicalement les systèmes de santé, qui ne sont pas

faits pour recevoir une telle pression. On le voit partout, pas qu’au Québec.

https://www.journaldemontreal.com/2020/03/31/les-cancereux-sans-pavillon

Conséquence de cela, de nombreuses chirurgies jugées non urgentes, les fameuses chirurgies électives, sont reportées.

C’est simple bon sens, à certains égards. Mais tout tient dans la définition qu’on se fait de l’urgence. On devine aisément que ceux qui font le tri ne reportent pas une opération à la légère. On leur fera confiance. 

Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’une opération pour le cancer ? Je ne prétends pas ici me substituer au jugement des spécialistes, mais j’aborde la question en m’imaginant un instant dans la peau d’un patient. 

Celui qui reçoit un tel diagnostic se sait atteint d’un mal très particulier.

Maladies

Mentalement, il voit sa vie s’effondrer. La médecine a beau avoir fait d’immenses progrès, le cancer demeure « l’empereur de toutes les maladies », pour emprunter le titre du livre de Siddhartha Mukherjee, qui a raconté l’histoire de la lutte pour le vaincre au fil des siècles. 

Le cancer demeure la maladie la plus terrifiante qui soit. Même terrassé, on craint sa contre-attaque et les récidives. Le cancéreux se transforme psychologiquement, pour un temps, en condamné à mort. 

Et sans être spécialiste, il croit comprendre, sans trop se tromper, que chaque jour qui passe joue contre lui. Peut-être a-t-il la chance de ne pas avoir de métastases ? À tort ou à raison, il craint néanmoins leur apparition.

Et même si on lui explique qu’il a de bonnes chances de s’en tirer, il aura toujours, au fond de lui-même, l’impression de vivre avec un pistolet sur la tempe.

Les témoignages qui s’accumulent actuellement aboutissent toujours au même constat : les cancéreux qui apprennent le report de leur chirurgie se disent qu’ils ne seront peut-être pas les victimes directes de la Covid-19, mais ses victimes collatérales. Ils ne le disent pas comme des égoïstes. C’est leur instinct de survie qui parle.

Pour paraphraser Soljenitsyne, dans l’hôpital occidental, bien des cancéreux ont perdu leur pavillon et se sentent égarés.

Retenons une idée simple : s’il est normal que notre système de santé se mobilise de manière maximale contre la pandémie, n’oublions pas que la maladie « ordinaire » ne prend pas congé. 

Détresse

Les cardiaques ne cessent pas de l’être, les cancéreux non plus, et les malheurs qui ponctuent l’existence humaine ne disparaissent pas d’un coup. Ils ne sont même pas relativisés.

C’est peut-être le principal défi collectif : dans le grand effort actuel, ne laisser personne de côté en sachant que plusieurs s’effondreront psychologiquement s’ils se sentent abandonnés dans l’épreuve. Une opération est reportée ? Dans la mesure du possible, il faut tenir informé le patient pour qu’il sache à quel moment il sera pris en charge. 

Le brouillard médical est l’ennemi de la santé mentale. Il faut le dissiper. Sans cela, le patient aura l’impression d’être jeté dans un gouffre dont il ne sortira pas.

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