Richard Martineau Dimanche, 23 août 2020 05:00 : Nous traversons actuellement une période très difficile.
https://www.journaldemontreal.com/2020/08/23/la-pandemie-davant
Le masque, le confinement, la distanciation sociale, la détresse psychologique, la crise économique...
Sans parler des décès.
On a beau être faits forts, on est tous un peu sonnés.
Mais pour ceux qui ont été touchés par la crise du sida, ce que nous vivons maintenant est de la petite bière comparativement à ce qu’ils ont vécu.
La peste
En 1987, j’avais 26 ans.
Je travaillais au journal Voir et je mangeais de la culture du matin au soir. Je passais mes soirées assis dans des salles de spectacle, et mes journées à discuter avec des metteurs en scène, des réalisateurs, des comédiens... Des artistes brillants, dont plusieurs (Robert Lepage, Michel Lemieux, René Richard Cyr, Yves Desgagnés, Serge Denoncourt, etc.) étaient homosexuels.
J’étais donc assis aux premières loges lorsque la crise du sida a frappé de plein fouet la métropole.
C’est bien simple, il n’y a pas une semaine où un ami ou une connaissance ne mourait pas du sida.
Ça tombait comme des mouches.
Des gars dans la force de l’âge. Drôles, intelligents, créatifs.
On sortait, le soir, et on voyait « les sidéens » déambulant dans la rue comme des zombies.
Des taches brunes dans le visage, la peau sur les os, les yeux hagards... Comme des morts-vivants.
Car la maladie n’était pas seulement dans leur corps. Elle était sur leur corps. Elle les marquait.
Elle disait, très haut et très fort pour que tout le monde entende : « Dead Man Walking ! Tassez-vous, cet homme a la peste ! »
La maladie dont on ne parle pas
En mars dernier, j’ai interviewé le docteur Réjean Thomas aux Francs-Tireurs.
Cofondateur de la clinique L’Actuel, qui soignait ce qu’on appelait avant les MTS (maladies transmises sexuellement), ce médecin qui œuvrait dans le Village gai s’est retrouvé au cœur même de la pandémie.
Pour moi, Réjean est un héros, rien de moins. L’équivalent d’un général dans la guerre contre le sida.
Je lui ai demandé s’il était un peu jaloux de toute l’attention que recevait la COVID, ces temps-ci. Tout cet argent, ces ressources, cette mobilisation internationale, cette quête frénétique d’un vaccin...
Il m’a regardé avec un sourire triste, ironique, lourd de sens, et m’a dit, après de longues secondes : « Oui... » Car ça a pris des années avant que l’on parle ouvertement du sida. Des années avant qu’on s’y intéresse, que l’on prenne cette menace au sérieux, qu’on se mobilise contre ce Mal qui était la première cause de décès chez les jeunes hommes.
Pourquoi ?
Parce que les victimes étaient des marginaux.
Des gais. Des toxicomanes. Des prostitués. Des Noirs.
Ils l’avaient mérité. Ils l’avaient cherché. Ils avaient couru après.
Pas de vaccin
Ces gens-là mouraient dans l’indifférence générale.
Je me souviens des premières manifs d’ACT-UP. Des militants hyper dévoués qui prenaient la société par le col de chemise et lui disaient : « Qu’est-ce que t’attends, merde ????? ON CRÈVE ET TU T’EN SACRES ! »
Quarante ans plus tard, on n’a toujours pas trouvé de vaccin contre le sida. L’an dernier, 690 000 personnes sont mortes des suites de cette maladie. Alors, oui, nous traversons une période difficile...
Mais certains l’ont eu pas mal plus dur que nous.
Souvenons-nous.