La tomate rose - Richard Martineau

Richard Martineau Lundi, 17 août 2020 05:00

https://www.journaldemontreal.com/2020/08/17/la-tomate-rose

C’est une nouvelle qui, dans le contexte actuel de pandémie, de rentrée scolaire sous haute surveillance et de crainte fondée d’une deuxième vague, paraît anecdotique, voire banale.

La fameuse tomate Makari, qui est rose plutôt que rouge, disparaîtra des tablettes d’ici quatre ans.

AVEC PAS DE GOÛT

Pourquoi cette tomate disparaîtra-t-elle ?

Parce qu’elle n’est plus vendue nulle part. 

En fait, il n’y a que les Québécois qui tripent sur cette tomate hybride.

Partout à travers le monde, cette tomate sucrée qui a l’air de souffrir d’anémie laisse les consommateurs froids. 

Dans les autres pays, on veut des tomates qui goûtent la tomate.

Ici, on aime les tomates qui goûtent l’eau. 

Je cherche peut-être la bibitte, et je vois peut-être des allégories partout (« Parfois, un cigare n’est qu’un cigare », comme disait Freud), mais... vous ne trouvez pas que cette histoire de tomate est une métaphore parfaite du Québec, de ce que nous sommes ?

Le fait qu’on aime une tomate qui ne goûte pas trop la tomate ?

Une tomate rose pâle plutôt que rouge vif ?

Une tomate sucrée plutôt qu’acide ?

Une tomate qui a l’air d’avoir honte d’être une tomate ? Qui ne s’assume pas en tant que tomate ?

Une tomate passe-partout, qui veut plaire à tout le monde ?

Une tomate qui vise le plus petit dénominateur commun ?

Une tomate qui ne choque pas, n’étonne pas, ne surprend pas, qui a peur de déranger et qui cherche quasiment à passer inaperçue ?

Une tomate qui fait profil bas ? Qui essaie de ne pas trop ressembler à une tomate ?

Qui, dans un sandwich, n’existe que pour mettre la laitue et le jambon en valeur ?

Une tomate lambda ? Une tomate qu’on ne remarque pas ?

Une tomate qui est assise dans le fond de l’épicerie et qui ne dit pas un mot ?

Une tomate qui se laisse insulter à longueur de jour par les concombres anglais sans réagir ?

 

Une tomate qui, au lieu de te donner le goût de dire : « Wow, quelle tomate fabuleuse ! Quelle tomate extraordinaire ! », te donne juste envie de dire : « Ouais, pas mauvais » ?

Une tomate qui ne veut pas crier sa fierté d’être tomate de peur de faire de la peine aux autres légumes ?

Une tomate qui ne sait pas si elle est un fruit ou un légume ?

Une tomate qui ne veut pas choisir ?

Qui est assise entre deux casseaux ? 

Qui veut être sucrée, mais pas trop, et acide, mais pas trop ?

Une tomate qui se contente de peu ?

Qui n’est jamais arrabiata, en colère ?

Qui dit « Bonjour-Hi » ?

LA TOMATE DISTINCTE

On était comme ça, au Québec.

Des tomates roses. Des saucisses La Belle Fermière qui ne goûtaient pas trop la saucisse.

Du café instant. Du Tang (du jus d’orange pas d’orange). 

Des légumes en canne.

Pas étonnant que la tomate rose soit sur ses derniers milles. 

Y a-t-il quelque chose de plus plate qu’une tomate rose qui goûte l’eau ?

Moi, je rêve d’une tomate québécoise qui explose dans la bouche, d’une tomate fière, d’une tomate qui a le bras droit levé en signe de victoire, d’une tomate qui n’a pas honte de parler tomate, d’une tomate qui parle aux autres légumes d’égal à égal. 

Vive la tomate libre !

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