Richard Martineau Mardi, 24 mars 2020 05:00 : On croyait que l’Histoire nous avait oubliés et qu’on se la coulerait douce jusqu’à l’heure de notre mort
https://www.journaldemontreal.com/2020/03/24/dedans-jusquaux-dents
Et puis, non, elle nous a aperçus du coin de l’œil et nous a sauté dessus comme un chat saute sur une souris.
RAPPEL À L’ORDRE
Dans Le Figaro, samedi, l’économiste français Henri Guaino a bien résumé la situation.
« Après les migrants, les subprimes et le terrorisme, cette crise sanitaire nous montre avec quelle rapidité nos sociétés peuvent se dérégler à un point que nous n’imaginions pas possible.
Cette épidémie sonne comme un rappel à l’ordre à une société qui avait fini par se convaincre qu’elle échapperait à jamais aux malheurs qu’avaient dû affronter les générations d’avant. »
Nos aînés se sont tapé deux guerres mondiales, une Dépression, la grippe espagnole, le fascisme, le communisme et la guerre froide, sans oublier un nombre incalculable de génocides et de charniers.
Nous avons eu les cheveux gaufrés des années 80 et le Gangnam style.
Pour paraphraser Raymond Lévesque : « Dans la grande chaîne de la vie / Où il fallait que nous passions / Où il fallait que nous soyons / Nous avons eu la meilleure partie... »
LA PEUR AU VENTRE
Et puis, ça nous est tombé dessus.
Une crise sanitaire mondiale (doublée d’une crise climatique sans précédent, diraient les écolos qui sont frustrés d’être soudainement relégués au second plan, eux qui avaient le vent en poupe avec Greta).
Il semble bien que nous devrons nous aussi faire des sacrifices, comme nos grands-parents, qui recevaient des oranges à Noël quand les affaires allaient bien et que l’argent rentrait.
Eh la la...
Juste comme on pensait que la pire chose qui pouvait nous arriver était le retour du pantalon taille basse...
Depuis le temps qu’on se raconte des peurs en regardant des films catastrophes, histoire de laisser entrer un brin d’émotion dans notre vie « confortablement engourdie », comme le chantait Pink Floyd, eh bien, on y est maintenant.
On est dedans jusqu’aux dents.
Pitchés, curvés, flyés comme une garnotte.
La peur au ventre, roulés en boule dans un coin, jouant au solitaire tout le monde en même temps, écoutant le PM nous expliquer les nouvelles règles du jeu, chaque jour à 13 h.
VIVRE AVEC DES BARRIÈRES
Ce week-end, ma blonde et moi avons soupé avec des amis.
Quoi, il faut bien voir des gens, non ?
« Le confinement, le confinement, c’est pas une raison pour se couper du reste du monde... »
Mais n’ayez crainte, nous avons fait ça dans les règles.
C’est-à-dire par Skype.
Eux mangeaient chez eux, nous mangions chez nous, et on trinquait en approchant nos verres de l’écran.
C’était surréaliste.
Nous, boomers, X et lapins qui n’avons connu aucune limite, qui nous sommes mêmes affranchis de nos gènes (tu veux changer de sexe ? Pas de problème !), voici que nous devons apprendre à vivre avec des consignes, des barrières, des entraves.
Des interdictions.
Les pauvres du tiers-monde, qui sont habitués à pelleter de la merde, doivent avoir le goût de nous chanter une bonne vieille toune de Dylan.
« Now you don’t talk so loud / Now you don’t seem so proud / How does it feel ? / To be on your own / With no direction home ? »
Comment on se sent ?
Petits. Fragiles. Humbles.