Josée Legault - Sur la loi 21, pour ou contre, la caricature et l’insulte règnent. Si ça continue, on finira par manquer de chemises à se déchirer sur la place publique.
On savait tous qu’un jour, les effets concrets de la loi 21 sur le terrain seraient incarnés par une vraie personne. Ce jour-là est venu.
Dans une école primaire anglophone de Chelsea, une enseignante, Fatemeh Anvari, a dû être affectée à une autre tâche parce qu’elle refusait de retirer son hijab durant les heures de cours.
La loi sur la laïcité, rappelons-le, interdit à certaines catégories d’employés de l’État, dont les enseignants des écoles primaires et secondaires publiques embauchés depuis l’adoption de la loi en 2019, de porter un signe religieux.
Il n’en fallait pas plus pour que la guerre des mots entre pro et anti-loi 21 reprenne de plus belle. Au Québec et au Canada anglais, le dialogue de sourds domine encore.
Sa principale victime ? Toute discussion raisonnée et respectueuse. Dès lors que deux camps ultra-polarisés s’affrontent à coups d’invectives et de procès d’intention – chacun étant en plus convaincu de détenir LA vérité –, tout débat éclairé devient impossible.
Depuis la crise des accommodements raisonnables et le défunt projet péquiste de charte des valeurs, ce même dialogue de sourds perdure.
D’autant plus que cette version-ci de la laïcité – car il en existe plusieurs de par le monde –, s’est aussi vue érigée au rang de « valeur québécoise ». Ce qui, inévitablement, fait de toute critique un crime de lèse-québécitude.
Crime de lèse-québécitude
Des points de vue différents sur la loi 21, il en existe pourtant. Les contestations devant les tribunaux sont d’ailleurs menées par des citoyens québécois.
En lieu et place, de part et d’autre, la caricature et l’insulte règnent. Si ça continue, dans les médias comme dans la classe politique, on finira un jour par manquer de chemises à déchirer sur la place publique.
Chez les pro-loi 21 les plus audibles, l’autre camp est représenté comme celui du méchant multiculturalisme trudeauiste canadien, acharné à vouloir détruire toute différence québécoise.
Chez les anti-loi 21 les plus audibles, l’autre camp est dépeint comme celui du méchant nationalisme identitaire, trempé jusqu’à l’os dans un racisme et une intolérance ataviques. Évidemment, ni l’un ni l’autre n’est vrai.
Rappelons qu’au temps de la charte des valeurs, plusieurs souverainistes notoires, dont l’ex-premier ministre Jacques Parizeau, étaient en désaccord avec une interdiction des signes religieux allant au-delà des juges, policiers, etc.
L’arbitre ultime
Mais de nos jours, plus moyen de critiquer la loi 21 sans se faire traiter de trudeauiste, de woke ou d’idiot utile des islamistes. Plus moyen non plus de l’appuyer sans se faire accuser de raciste et d’islamophobe.
Pendant ce temps, in absentia, des citoyens et citoyennes de confession musulmane, loin de former eux non plus un bloc monolithique, sont divisés sur le sujet. Des sondages montrent même que l’opinion publique au Canada anglais est divisée elle aussi.
Or, dans ce mauvais western, dès qu’une personne s’exprime sur le sujet, la voilà conscrite illico comme l’alliée des uns et l’adversaire des autres.
Pourtant, il y a de ces gens raisonnables qui, au nom du principe de liberté de conscience, avancent qu’il est préférable de laisser les gens libres de porter ou non un signe religieux dans certaines fonctions.
Le prosélytisme, après tout, ne tient pas tant au port d’un signe visible qu’à des croyances fondamentalistes qui, toutes confessions confondues, sont souvent invisibles à l’œil.
Il y a aussi des gens raisonnables qui, au contraire, sont favorables à l’interdiction de signes religieux par la loi 21 au nom des principes de neutralité religieuse de l’État et d’égalité homme-femme.
Or, pendant qu’on se crêpe le chignon, la Cour suprême en sera l’arbitre ultime. Ce qui, nonobstant la nature de son jugement final, envenimera à nouveau la guerre de mots entre les pro et les anti-loi 21.