Josée Legault - Cher Monsieur le Ministre, la campagne de vaccination prend son envol.
La lumière pointe au bout du tunnel, mais pas pour tous. Je vous écris parce qu’à l’instar de plusieurs autres familles comme la mienne, je ne sais plus trop vers qui me tourner. Mon désarroi est aussi le leur.
Nous sommes les familles de personnes déficientes intellectuelles (DI) ou autistes. Nous sommes leurs proches aidants, leurs proches aimants. Notre détresse est celle de voir qu’au Québec, contrairement à d’autres États occidentaux, les adultes déficients intellectuels de moins de 60 ans sont relégués au 8e rang sur 10 dans la liste des groupes prioritaires à vacciner.
Cette aberration fait qu’à 60 ans, je serais vaccinée éventuellement AVANT ma sœur Manon, déficiente intellectuelle de 58 ans, avec qui je vis. Par son handicap, elle est pourtant vulnérable. Ici et à l’étranger, le consensus scientifique sur le sujet est d’ailleurs clair.
La revue Options politiques le résume fort bien. Quel que soit leur âge, « de nombreuses études montrent que les personnes handicapées risquent davantage d’être hospitalisées et de décéder de la COVID-19, notamment celles qui sont atteintes d’une trisomie 21 ou d’une déficience intellectuelle ».
Coupés du monde
Qui plus est, depuis un an, Manon, comme d’autres adultes handicapés, est coupée du monde. Elle a perdu ses activités de jour. Sa socialisation est à zéro. Ses facultés cognitives et comportementales en sont affectées.
Une vaccination rapide redonnerait sa vie à Manon et à tant d’autres comme elle. Monsieur le Ministre, dans les familles comme la mienne, la menace de la COVID-19, c’est l’apocalypse. La peur criante de l’attraper et de la donner à notre être cher nous oblige à réduire nos contacts à l’extrême.
Nous vivons dans l’isolement et l’angoisse. Je ne saurais vous dire l’état inquiétant d’épuisement émotif et physique dans lequel nous sommes tous enfermés depuis un an. Seul le vaccin pourrait commencer à nous soulager.
Si la vaccination presse pour les personnes déficientes intellectuelles, c’est aussi parce que la plupart d’entre elles sont incapables de suivre les consignes sanitaires correctement.
Le pouvoir de redonner vie
Il faut savoir que nous vivons aussi dans la terreur de voir notre être cher, handicapé et fragile, se retrouver hospitalisé s’il contracte le virus. En janvier, un homme autiste de 53 ans, laissé seul aux soins intensifs de l’Hôpital Notre-Dame, en est mort dans la plus parfaite indifférence.
Et vous savez quoi, Monsieur le Ministre ? Sous certains CIUSSS, on commence à vacciner des personnes déficientes intellectuelles vivant en ressources d’hébergement, mais seulement celles de 65 ans et plus ! Une autre aberration.
Dans chaque ressource – souvent des petits milieux de vie où la proximité physique entre résidents est bien plus grande qu’en CHSLD –, il y aura donc des adultes handicapés non vaccinés cohabitant avec d’autres qui le seront. Vous comprenez à quel point cela n’a aucun sens.
Pour toutes ces raisons, nous vous implorons de revoir l’ordre de priorisation pour la vaccination des adultes déficients intellectuels de moins de 60 ans. Qu’ils vivent en famille ou en ressource d’hébergement.
Après s’y être refusé, le premier ministre Boris Johnson l’a fait cette semaine. En Grande-Bretagne, toutes les personnes déficientes intellectuelles adultes seront vaccinées en priorité. Ne juge-t-on pas la grandeur d’une nation à la façon dont elle traite ses plus vulnérables ?
Monsieur le Ministre, vous avez le pouvoir de le faire à votre tour. Avant son élection, le premier ministre s’était engagé à respecter enfin les droits des personnes handicapées intellectuelles. Les prioriser rapidement pour la vaccination joindrait puissamment votre geste à sa parole.