Près des yeux, près du cœur - Josée Legault

Josée Legault Jeudi, 30 avril 2020 05:00 - Il nous faudra trouver des façons ingénieuses de briser ces ghettos déshumanisants nommés, à la sauce orwellienne, des « milieux de vie »

https://www.journaldemontreal.com/2020/04/30/pres-des-yeux-pres-du-cur

Lorsque le pire sera passé, un jour, la crise de la COVID-19 nous poussera-t-elle enfin à exiger mieux de nos élus et de nous-mêmes ? Dans ma chronique d’hier – « Loin des yeux, loin du cœur » –, j’expliquais comment, au fil des ans, nous en étions venus à parquer les plus fragiles d’entre nous dans de soi-disant « milieux de vie » séparés du reste de la société. 

La débâcle dans plusieurs CHSLD et résidences privées pour aînés nous confronte au devoir moral de mettre fin à cette multiplication éhontée de ghettos isolants, dont la majorité sont des entreprises privées à but lucratif. 

Pour ce faire, il nous faudra élargir de beaucoup notre perspective collective, sociale et politique. 

Parce qu’à travers cet archipel de ghettos vivent des vieux en perte d’autonomie, mais aussi des personnes handicapées intellectuelles ou physiques de tous âges. 

Négligence

L’« âgisme » que l’on dénonce maintenant est bien réel, mais la négligence envers les personnes handicapées l’est tout autant. Elles sont les ultimes « parents pauvres » de ce qu’il reste de notre réseau de services sociaux.

Pour sortir des chapelles déconnectées des méga-CIUSSS et s’ouvrir à une vision nettement plus large et humaniste du « prendre soin », c’est de la grande vulnérabilité sous toutes ses formes dont nous devrons nous préoccuper et nous occuper.

Sur ce sujet, je persiste et signe depuis des années. 

Cette semaine, la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) s’inscrivait dans la même logique avec une idée très prometteuse. 

Elle propose la tenue d’états généraux sur la manière dont on doit mieux prendre soin des Québécois vulnérables, toutes conditions et tous âges confondus.

Redécouvrir et réinventer

En entrevue avec La Presse canadienne, son président, Luc Vachon, met le doigt sur le bobo : « C’est l’ensemble du réseau qui craque. La COVID nous remet en pleine face ce qu’on ne voulait pas voir. Il faut une réflexion globale, comme société, sur comment nos réseaux doivent s’occuper des plus vulnérables. »

Nos réseaux et j’ajouterais, nous aussi, les citoyens, tous ensemble, celles et ceux vivant la vulnérabilité avec ceux et celles qui la vivront peut-être un jour. Si nous ne le faisons pas, nous oublierons. Encore une fois.

Certaines pistes de solution sont déjà connues, mais pas toutes. Nous ne savons pas comment les pays où l’on prend mieux soin des personnes vulnérables s’y prennent. Il faudra le savoir et s’en inspirer. 

Tout mettre sur la table. Clairement et franchement.

Il nous faudra trouver des façons ingénieuses de briser ces ghettos déshumanisants nommés, à la sauce orwellienne, des « milieux de vie ». 

Trouver comment ne plus remiser entre eux les vieux fragiles et les personnes handicapées entre elles.

Investir beaucoup plus et mieux dans le maintien à domicile et le soutien aux proches aidants. Redécouvrir la cohabitation intergénérationnelle. 

Inventer de nouveaux milieux de vie basés sur une vraie mixité sociale avec des jeunes, des enfants, des vieux, des handicapés, etc.

Bref, après le déconfinement, il nous faudra enfin nous décloisonner comme société. J’en rêve depuis longtemps. 

Vous aussi, j’en suis sûre.

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