Sophie Durocher Vendredi, 31 juillet 2020 05:00 Comme ça, la Cour suprême va entendre la cause de Mike Ward, dans le litige qui l’oppose à Jérémy Gabriel.
https://www.journaldemontreal.com/2020/07/31/le-malaise-mike-ward
Doit-on s’en réjouir ou s’en désoler ? Dans tout ce dossier, mon cœur balance. D’un côté, je trouve crucial que la Cour suprême nous éclaire sur une question aussi importante que la liberté d’expression des artistes... mais de l’autre, je suis mal à l’aise que ce soient des juges avec une toge rouge qui me disent quelles sont les blagues qu’on a le droit de faire ou pas.
Je suis toujours prête à défendre la liberté d’expression, mais je trouve navrant que la cause au cœur des discussions soit un cas d’acharnement sur un mineur avec un handicap. Bref, j’ai un malaise avec les deux côtés de la médaille.
C’est vraiment un cas de « Mais en même temps... ».
LES DEUX CÔTÉS DE LA MÉDAILLE
Julius Grey (l’avocat de Mike Ward) a raison quand il dit que ce sont la liberté d’expression et la liberté artistique qui sont au cœur de ce litige. Mais en même temps, est-ce que traiter de « lette » un enfant qui ne fait que rêver d’être chanteur est ma définition de la liberté ?
Jeremy Gabriel a clairement souffert de la répétition abusive des blagues dénigrantes de Mike Ward. Mais en même temps, est-ce que la Commission des droits de la personne est la bonne plateforme pour discuter de cette question ? Est-ce vraiment un cas de discrimination si Mike Ward rit de tout le monde, autant des handicapés que des bien portants ?
Mike Ward avait tout à fait raison en novembre 2019 quand il écrivait sur Facebook : « L’humour n’est pas un crime. Dans un pays “libre”, un juge ne devrait pas dicter ce qui est faisable ou non en humour. » Mais en même temps, la liberté des uns s’arrête là où commence la liberté des autres, et Jérémy Gabriel doit pouvoir se protéger s’il sent que ses droits sont lésés.
Je déplore régulièrement la chape de plomb de la rectitude politique qui étouffe le discours public. Mais en même temps, personne ne veut revenir à l’époque où on faisait des « jokes de fif » ou de « tapettes ».
Mike Ward dit toujours qu’il préfère faire de la prison plutôt que de payer l’amende de 35 000 $ à Jérémy Gabriel. On peut admirer le fait que Mike Ward fasse preuve de ténacité en continuant à défendre un principe, contre vents et marées. Mais en même temps, on peut aussi se demander si, rendu là, ça ne tient pas de l’obstination ou de l’acharnement.
Les blagues sur Jérémy Gabriel étaient clairement offensantes. Mais en même temps, si l’humour ne peut jamais être offensant, est-ce encore de l’humour ?
J’ai bien hâte que la Cour suprême entende cette cause pour qu’on sache sur quel pied danser. Mais en même temps, j’ai très peur que l’on restreigne encore plus le peu de marge de manœuvre qui reste aux créateurs pour créer.
Je ne peux m’empêcher de repenser à cette discussion avec un humoriste, dans sa loge, après un spectacle, à qui je parlais de mes malaises face à l’affaire Mike Ward. Il m’avait regardé droit dans les yeux en me disant : « Sophie, si Mike Ward se fait dicter quoi dire, après ce sera toi qui ne pourras plus écrire ce que tu veux. »
C’est un pensez-y-bien, non ?