C’est la faute aux médias? - Sophie Durocher

Sophie Durocher Vendredi, 15 mai 2020 05:00

Mercredi, en plein point de presse, le premier ministre François Legault s’en est pris à un média et à un journaliste.

https://www.journaldemontreal.com/2020/05/15/cest-la-faute-aux-medias

Étant donné que, selon un sondage Léger, les non-francophones sont plus inquiets que les francos au sujet du déconfinement, François Legault a laissé entendre que le journaliste qui couvre la santé au Montreal Gazette, Aaron Derfel, avait une part de responsabilité dans ce climat de peur.  

Ce n’est pas la faute de M. Derfel (ni celle d’aucun autre journaliste québécois) si les nouvelles sont mauvaises en ce moment.   

Il me semble qu’on est ici en présence d’un cas classique de «tirez sur le messager».   

Monsieur Legault va-t-il prendre en grippe les journalistes comme un certain président américain?   

LE QUATRIÈME POUVOIR  

Au Québec, depuis le début de la pandémie, les journalistes, tous médias confondus, font un boulot impressionnant. Essentiel.   

La plupart du temps, ils nous donnent l’heure juste en venant vérifier (et dans certains cas contredire) les informations un peu trop jovialistes des points de presse du trio de 13 h.   

Si le gouvernement nous dit qu’on fait 9000 ou 14 000 tests, on a besoin qu’un journaliste nous dise qu’en réalité il ne s’en fait que 6000.   

Quand le gouvernement nous dit que le personnel soignant ne manque pas d’équipement de protection, ça nous prend des journalistes pour prouver qu’en réalité, ils en manquent cruellement.   

Quand la ministre nous dit qu’il n’y a plus de transfert de personnel d’un centre d’hébergement à un autre, heureusement qu’on a des journalistes qui fouillent pour découvrir que c’est le contraire qui se passe sur le terrain.  

Hier, à mon émission à QUB radio, j’ai parlé à Aaron Derfel qui était encore estomaqué d’avoir été pris à partie par le PM.   

«C’était un peu gênant, malheureux, dommage.»   

Monsieur Derfel ne dit pas que le PM se trompe... mais plutôt que son entourage ne le tient pas bien informé de la réalité sur le terrain.   

Avant-hier, c’est Aaron Derfel qui a été le paratonnerre de la mauvaise humeur du PM.   

Demain, est-ce que ce sera Félix Séguin du bureau d’enquête de QMI... ou Marco Bélair-Cirino du Devoir ?   

Mes collègues vont-ils se faire reprocher de sortir des histoires qui déplaisent, de poser des questions difficiles ou encore de braquer les projecteurs sur le bordel qui règne dans le milieu de la santé ?   

CHECK IT OUT!  

Les journalistes ne sont pas des courroies de transmission ni des cheerleaders. Leur rôle, c’est de fouiller, de vérifier, de gratter le bobo. Bref, d’aller en coulisse pendant que la pièce de théâtre se déroule devant les caméras.   

Comme on me l’apprenait quand je faisais ma maîtrise en journalisme à l’université Columbia, à New York : «Si ta mère te dit qu’elle t’aime, “check it out”, vérifie l’info».   

J’aurais envie d’adapter le slogan pour la COVID-19 : «Si le premier ministre te dit que ça va bien dans les CHSLD, si le directeur de la santé publique te dit que le masque n’est pas nécessaire ou si la ministre de la Santé te dit que la situation est sous contrôle dans tel hôpital... vérifie l’info».   

C’est ça, notre seule et unique «responsabilité».

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