Richard Martineau Mercredi, 10 mars 2021 05:00 : Avez-vous déjà vu le film Stardust Memories, de Woody Allen ?
https://www.journaldemontreal.com/2021/03/10/lautre-pandemie-quil-faudrait-aussi-combattre
Il y a une scène, tout au début, qui me fait penser à ce que nous vivons, ces temps-ci.
Un homme (Woody lui-même) est assis dans un train lugubre.
Tout est gris autour de lui. Les bancs, les vêtements du contrôleur, la face des gens.
On se croirait dans un sanatorium.
On entend des vieux tousser. Le tic-tac sinistre d’une horloge grand-père.
Les passagers, immobiles sur leurs sièges, ont des tronches pas possibles. Cernés, le teint cireux, les joues creuses. Bref, c’est super déprimant. Un film de Bergman des années 1950.
Soudainement, un autre train arrive en gare, et s’immobilise juste à côté du premier.
C’est le party
Dans ce train-là, c’est tout le contraire.
Les gens sont beaux, jeunes, ils rigolent, dansent, sabrent le champagne. C’est le party.
Une blonde magnifique (Sharon Stone, dans sa première apparition à l’écran) se penche à la fenêtre de sa cabine et envoie un gros bec mouillé à Woody, qui la regarde avec envie (photo).
Tout de suite, Woody se lève de son siège et montre son billet au contrôleur à la face de croque-mort, en pointant en direction du second train, qui semble sorti d’un film de Fellini avec ses femmes plantureuses et son atmosphère de partouze.
« Regardez, il y a sûrement une erreur, pourquoi je croupis ici au lieu de m’amuser dans ce train-là ? Vite, vite, changez-moi de place ! »
Mais trop tard. Le train de la joie et du plaisir reprend sa route, laissant Woody dans le train de la déprime.
Le premier train, c’est la zone rouge.
Le second, la zone orange.
Séparés du monde
Depuis deux jours, je reçois des photos d’amis habitant en zone orange.
Au resto. Avec un large sourire. Un verre de vin à la main.
J’ai le goût de leur envoyer des messages de bêtises (« Arrêtez de m’écœurer, maudits baveux ! »), mais je me retiens.
Je me sens comme un enfant pauvre qui regarde des pâtisseries succulentes dans la vitrine d’une boulangerie, le nez collé sur la vitre, les poches vides.
D’ailleurs, parlant de ça...
N’est-ce pas ce que les pauvres ressentent à longueur d’année ?
D’être séparés du monde ?
Moi, quand la pandémie sera terminée, je reprendrai ma vie d’avant. J’irai au resto. Dans des bars. Dans des soirées chic.
Je changerai de train. Je remonterai (enfin) dans celui où on s’amuse.
Mais les pauvres, eux, resteront dans le train plate. Le vaccin ne changera strictement rien à leur vie.
Ils continueront de ne pas aller au resto. De ne pas aller au théâtre. De ne pas voyager.
De rester chez eux, et de regarder les gens se la couler douce, le nez collé sur la vitre.
Eux vivent une sorte de confinement permanent. En fait, c’est pire.
Car pendant un confinement, personne ne sort, tout le monde s’encabane (certains dans des petites cabanes, d’autres dans de grosses cabanes).
Alors qu’une fois le confinement terminé, la différence entre ceux qui s’amusent et ceux qui s’emmerdent est plus apparente.
Qui sait ? Un jour, on considérera peut-être la pauvreté comme une pandémie à combattre.