Josée Legault - Avec l’annonce d’un élargissement éventuel du passeport vaccinal aux clients de la SAQ et de la SQDC, les 11 % de Québécois
qui refusent toujours la vaccination, bien qu’ils y soient admissibles, remportent la manche.
Les non-vaccinés gagnent parce qu’à moins d’un miracle, il est peu probable que cette mesure finisse par les convaincre de voir volontairement la lumière au bout de l’aiguille des vaccinateurs qui les attendent. On comprend certes la frustration des 89 % de vaccinés, du premier ministre et de l’excellent ministre de la Santé, Christian Dubé. Plus difficile à comprendre est la timidité d’une telle mesure.
Timide, parce que le système de santé serait au bord d’imploser, que 20 000 soignants sont absents et que trop d’hospitalisations sont pour les non-vaccinés.
Ce qui, en plus d’épuiser les autres soignants, privera des milliers de Québécois de chirurgies et de dépistages aptes à sauver leur santé ou leur vie.
Or, le budget de la santé dépasse cette année les 50 milliards de dollars. C’est 43 % du budget de l’État québécois. Qu’il craque de partout, ce n’est ni un détail ni une fatalité. Mais ça, c’est une autre histoire.
Dans un contexte aussi inquiétant, comme je l’expliquais mercredi, se contenter d’interdire aux non-vaccinés d’entrer dans une SAQ ou une SQDC risque fort de finir en coup d’épée dans l’eau.
Acheter ailleurs
Primo, de l’alcool ou du cannabis, ça s’achète ailleurs. Deuxio, si les non-vaccinés ont survécu à l’imposition du passeport vaccinal aux restos et cinémas, parions qu’ils trouveront le moyen d’acheter vin, bière ou cannabis autrement. Voire, dans quelques mois seulement, de survivre au passeport vaccinal passant à trois doses.
Tertio, le gouvernement leur accordant un sursis jusqu’au 18 janvier ensuccursale tout en leur permettant à la SAQ de commander en ligne, parions que ça ne changera pas grand-chose à leur vie. La SAQ et la SQDC rapportant gros à l’État, et donc à nous, le gouvernement aurait-il ainsi préféré leur laisser le «droit» de continuer à y dépenser leur argent, mais en ligne?
Devant l’explosion des cas d’Omicron, il n’a pourtant pas hésité à obliger les restaurateurs à fermer leurs salles à manger à 24 heures d’avis du Nouvel An et à réimposer le couvre-feu.
En privant les non-vaccinés d’acheter à la SAQ ou la SQDC – et quelques autres lieux annoncés plus tard –, le ministre Dubé disait néanmoins viser trois objectifs : limiter les contacts, protéger les non-vaccinés contre eux-mêmes, persuader les derniers irréductibles d’au moins rester chez eux.
Ne plus pouvoir aller dans une SAQ ou une SQDC aidera-t-il vraiment à limiter leurs contacts en société ? Ce serait génial, mais étonnant. Parce qu’elle plaira à la majorité vaccinée et usée à l’os, l’annonce prend donc des airs plus politiques et psychologiques que sanitaires.
Populaire, mais efficace ?
La vraie question n’est-elle pas plutôt celle-ci : sera-t-elle efficace pour inciter une bonne part des récalcitrants à se faire vacciner ou à se terrer chez eux comme des pestiférés ?
Car de fait, dans le contexte actuel, la seule manière concrète de protéger les récalcitrants d’eux-mêmes – et les 89 % de vaccinés – est d’imposer la vaccination obligatoire.
En situation d’urgence sanitaire, la Loi sur la santé publique le permet et stipule comment le faire. Cela protégerait même de nombreuses personnes qui refusent le vaccin non pas par défiance, mais parce qu’elles sont soit vulnérables, isolées, souffrent de maladies mentales non soignées ou ont des croyances les empêchant de le faire.
Pendant qu’on réimpose un couvre-feu, qu’on déleste dans les hôpitaux, que le Québec traîne de la patte pour la troisième dose et qu’Horacio Arruda s’entête à contredire la science sur les masques N95 et la ventilation, pourquoi se limiter à donner l’impression qu’on punit les récalcitrants au lieu de leur imposer la vaccination ?
On espère se tromper, c’est évident. Pour le bien de notre société, attendre un miracle des non-vaccinés est non moins un risque bien réel.