Josée Legault - Au Québec, la pandémie a exposé au grand jour un système de santé qui, depuis des années, craquait déjà de partout.
Tout d’abord dans nos CHSLD, négligés depuis longtemps, mais bien ailleurs encore.
Au fil des compressions et des réformes débilitantes, notre réseau public s’est détraqué. D’où la montée constante du privé et les iniquités sociales qu’elle multiplie nécessairement.
Née avec la Révolution tranquille, je ne reconnais tout simplement plus mon Québec. Celui qu’on s’était promis, ensemble. Un Québec plus juste, plus humaniste et protecteur de ses citoyens vulnérables. Où diable se cache-t-il ?
Avant les années 90 et l’obsession du déficit zéro, nous avions pourtant réussi. Nous avions bâti un réseau public d’éducation et de santé dont la qualité était enviée de par le monde. Née dans une famille ouvrière, je l’ai vu se construire sous mes yeux.
Aujourd’hui, ce Québec n’est plus. Dans notre société vieillissante, à moins d’être mieux nantis, nous voilà même apeurés à l’idée d’y vieillir. Des centaines de milliers de Québécois attendent aussi un médecin de famille.
Les cliniques sans rendez-vous portent de mieux en mieux leur nom. Des urgences, déjà engorgées à longueur d’année, sont fermées 16 heures par jour pour cause de pénurie de personnel.
Une mort évitable ?
Or, une urgence fermée, c’est un non-sens dangereux. C’est comme un désert sans sable. C’est inconcevable.
Hier, les partis d’opposition ont talonné le gouvernement à propos de la mort de Richard Genest. Dans la nuit de mardi à mercredi, l’homme de 65 ans, pris d’une douleur sérieuse, a dû attendre deux heures pour une ambulance.
L’urgence du CLSC de Senneterre, tout près de laquelle il habitait, était fermée entre 16 h et 8 h. Il s’est vu transféré à l’hôpital de Val-d’Or. Puis, à l’hôpital d’Amos. Il y est mort dans un ascenseur, quelques minutes avant de pouvoir être opéré in extremis.
La PDG du CISSS Abitibi-Témiscamingue jure qu’il n’y a aucun lien entre sa mort et la fermeture partielle de l’urgence de Senneterre. Mais comment le sait-elle ? Seule une enquête du coroner pourra établir les raisons de son décès. Ce qui sera fait.
« On va perdre du monde »
La seule certitude, la mairesse de Senneterre, Nathalie-Ann Pelchat, a mis le doigt dessus. Avec une urgence fermée de 16 h à 8 h, « on savait que ça arriverait, on ne savait seulement pas quand ».
Cité cet été dans un reportage du Journal sur d’autres fermetures partielles d’urgences, en région et dans la métropole, Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades, le prévoyait aussi : « À travers le Québec, on abandonne des soins. On va perdre du monde, c’est clair. »
Ces fermetures sont des signaux d’alarme parmi trop d’autres. Notre système de santé est en manque depuis longtemps d’un redressement radical. Si le gouvernement Legault devait échouer à le ressusciter, les drames humains, on n’aurait pas fini d’en voir. C’est pourquoi l’échec n’est pas une option.
Notre réseau public soigne, mais il fait aussi des victimes innocentes. En première vague de la pandémie, des milliers de femmes et d’hommes d’ici sont morts en CHSLD dans des conditions épouvantables. Dans une nation « fière » et riche comme la nôtre, c’est inacceptable.
En entrevue hier avec Mario Dumont, Éva Genest, la fille endeuillée de Richard Genest, demandait au gouvernement de rouvrir l’urgence de Senneterre. « Si, au moins, son décès pouvait servir à faire bouger les choses, c’est cela qu’on souhaite. »
Selon le frère de M. Genest, Jean, des solutions locales auraient été proposées, « mais le système, ajoutait-il la mort dans l’âme, a décidé de faire autrement »...