Josée Legault Mardi, 14 avril 2020 05:00 - Est-ce vraiment le rôle d’une entreprise privée en quête de profits de s’occuper des plus vulnérables ? Sacrée bonne question.
https://www.journaldemontreal.com/2020/04/14/le-business-de-la-vulnerabilite
Au Québec, on se souviendra du 11 avril 2020 comme d’un samedi noir. On apprenait l’état de négligence extrême dans lequel des aînés avaient été laissés au CHSLD privé Herron à Dorval. Un reportage cinglant du Montreal Gazette en a fait l’horrible récit. Depuis le 13 mars, 31 résidents sur 150 sont morts. Révoltant, oui. Surprenant, non.
Dans ce CHSLD dit « privé non conventionné » croulant sous les enquêtes, la maltraitance était pourtant déjà documentée par le Protecteur du citoyen et un rapport du coroner. Le tout, semble-t-il, sans émouvoir le méga-CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.
Sur Twitter, mon collègue Charles Lecavalier posait une sacrée bonne question : « Est-ce vraiment le rôle d’une entreprise privée en quête de profits de s’occuper des plus vulnérables ? » Non, ça ne devrait pas l’être. Le problème est que depuis 20 ans, les gouvernements précédents ont tous encouragé la création d’un marché privé de services aux personnes très vulnérables, aînées ou adultes de tous âges handicapés intellectuels ou physiques.
Comme du même coup, ils sabraient les soins à domicile et ignoraient les besoins des proches aidants, ce marché privé, par défaut, a pris de l’expansion.
C’est ce que j’appelle le business de la vulnérabilité. Dans ce business, on trouve certaines résidences de qualité, c’est sûr, mais d’autres sont des « parkings » à vieux et à adultes handicapés.
Parkings
Trop souvent, ces « parkings » fonctionnent en plus sous le regard absent et l’omerta des méga-CIUSSS créés par l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette. La résidence Herron n’en est que la version La nuit des morts-vivants.
Dans ces « parkings », le rôle premier des résidents est d’enrichir les propriétaires. Pour maximiser les profits, on y rogne à divers degrés sur tout – soins, nourriture, hygiène, réadaptation, socialisation, préposés sous-payés, etc. Ce ne sont pas des « milieux de vie », mais des milieux de négligence souterraine.
Ce marché de la vulnérabilité, le premier ministre François Legault en a hérité. La pandémie le plonge soudainement dans ses racoins les plus déshumanisés. Il s’est donc engagé, une fois la crise terminée, à changer la donne.
Sans complaisance
Il lui faudra cependant ouvrir les yeux sans complaisance. Il est vrai que le réseau public sort affaibli par des années de compressions et d’hypercentralisation. Le principe même de profitabilité privée de la vulnérabilité n’en soulève pas moins de lourdes questions éthiques.
Les aînés en perte d’autonomie et les adultes handicapés ne sont pas une marchandise ni un guichet automatique. Privatisation des services et bureaucratie désincarnée du réel sur le terrain – pour les plus vulnérables, c’est la pire des combinaisons. Le rôle de l’État est pourtant de les protéger.
Or, dès qu’il les « sous-traite » à des intérêts privés de manière aussi large et aussi peu surveillée, il en fait d’office les victimes d’une loterie cruelle. Les « chanceux » allant dans des résidences adéquates ; les perdants vivotant dans des résidences de piètre qualité. Ceux-là, condamnés à un quotidien d’indignités, ne servent plus qu’à maximiser les profits de leurs exploitants.