Josée Legault - La mémoire a beau être une faculté qui oublie, il y a tout de même des satanées limites à dire n’importe quoi.
À l’émission Tout le monde en parle, l’ex-premier ministre du Canada Jean Chrétien ne s’est pourtant pas gêné pour le faire.
Josée Legault
Sans broncher, il a déclaré qu’au temps où il était ministre des Affaires indiennes (1968-1974), il n’avait rien su des traitements inhumains auxquels des milliers d’enfants des Premières Nations ont été soumis dans les pensionnats autochtones.
Il s’est même fendu d’une analogie choquante : « J’ai été pensionnaire, moi, de l’âge de 6 ans jusqu’à l’âge de 21 ans. Alors, j’en ai mangé des fèves au lard, puis du gruau. Et c’est sûr que c’est difficile, la vie de pensionnaire, extrêmement difficile ».
Déni du réel
C’est à s’en décrocher la mâchoire. Ces enfants pensionnaires autochtones, eux, étaient arrachés de force à leurs familles. Souvent affamés, ils étaient entassés dans des baraquements non isolés. Battus. Violés.
Pour « tuer l’Indien » en eux, on leur interdisait de parler leur langue. Enterrés comme des déchets dans des tombes anonymes, combien en sont également morts ?
Jean Chrétien s’entête pourtant à dire qu’à l’époque, il n’en savait rien.
Or, comme le rapportait hier Le Journal : « Des administrateurs du pensionnat autochtone de La Tuque, dans la circonscription qui était celle de Jean Chrétien, ont signalé à plusieurs reprises à Ottawa des cas d’agressions sexuelles lorsque celui-ci était ministre des Affaires indiennes ».
En 1969, l’opposition l’a même questionné sur le sujet. Sa réponse : c’est « un problème local ». Honteux.
Radio-Canada rapporte que des archives gouvernementales montrent que le ministère des Affaires indiennes sous Chrétien avait « reçu plusieurs rapports [...] faisant état des mauvais traitements infligés aux enfants autochtones, alors forcés de fréquenter ces pensionnats ». Comment s’étonner que, suite à son passage à TLMEP, Jean Chrétien soit traité de « menteur » par le député néo-démocrate Charlie Angus ?
Sur le même plateau, le journaliste et écrivain innu Michel Jean a même dû rappeler ceci : « Il y a quelqu’un dans ma famille qui est allé au pensionnat de Fort George, qui a été agressé sexuellement tous les jours pendant huit ans par une religieuse. Ça s’appelle un pensionnat, mais ce n’était pas une école ».
Machines racistes et barbares
Exact. Ces « pensionnats » pour enfants autochtones n’étaient pas des « écoles ». Ils étaient des machines racistes. Barbares. Financées par le fédéral sous l’égide de la très raciste Loi sur les Indiens et gérées par des ordres religieux sadiques et cupides. Et Jean Chrétien dans tout ça ? Comment a-t-il pu penser une seule seconde qu’une telle dénégation de la réalité passerait comme une vulgaire lettre à la poste ?
Du temps où il guerroyait dur contre les méchants « séparatissss », les Québécois s’étaient habitués à le voir prendre plaisir à leur lancer les pires insanités sans que le nez ne lui pousse pour autant d’Ottawa à Shawinigan.
Cette fois-ci, alors qu’il en était un acteur politique important, c’est l’Histoire dans ce qu’elle a de plus abject qu’il réécrit aujourd’hui sans vergogne.
Ne vient-on pas en effet de voir un homme réécrire l’Histoire en direct pour mieux s’en disculper lui-même ?
Et n’est-ce pas là, à bien y penser, l’ultime explication derrière son déni de la vraie nature des pensionnats autochtones, y compris même lorsqu’il trônait au sommet du ministère des Affaires indiennes ?