Lettre envoyé Jeudi, 9 mai 2019 à François Legault : Au nom de nos enfants
Madame, Monsieur.
Nous, soussignés, désirons vous faire part de notre refus que nos enfants reçoivent l’éducation scolaire par des enseignantes et enseignants arborant des signes religieux. En vertu de l’article 3. de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, nous évoquons notre droit à la liberté d’expression afin d’exprimer ce refus.
Notre refus s’explique du fait que nous sommes tous issus soit de communautés religieuses différentes ou bien athées ou agnostiques. Tous signes religieux portent atteinte à notre droit à la reconnaissance de la liberté de religion et de conscience, qui est d’ailleurs proscrit par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne puisque discriminatoire à l’égard des individus qui n’adhèrent pas à ces religions. Les crucifix ont été retirés et il est tout à fait normal qu’aucun autre signe religieux puisse prendre place dans le système d’éducation québécois.
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a d’ailleurs traité du sujet dans un document de réflexion publié en juin 2008.
Voici ce que la Commission conclut.
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, DOCUMENT DE RÉFLEXION SUR LA CHARTE ET LA PRISE EN COMPTE DE LA RELIGION DANS L’ESPACE PUBLIC, P.20: « En fait, la présence de symboles et rituels religieux dans les institutions publiques pose la question fondamentale des rapports entre l’État et des citoyens de croyances et de traditions diverses. Dans la mesure où elle est susceptible de miner, chez certains citoyens qui ne se reconnaissent pas dans de tels rituels et symboles, l’attachement et la confiance envers les institutions publiques, l’existence de ces pratiques devient de plus en plus difficile à justifier. D’un point de vue socio-politique, les institutions qui ont aboli les symboles religieux ou remplacé la prière par des formules plus neutres, telles que l’observation d’un moment de silence ou de recueillement, montrent ici l’une des voies à suivre ».
La Charte québécoise des droits et libertés de la personne nous garantie à tous le droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la religion, conformément à l’article 10. La liberté de religion doit s’exercer dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec, tel que garantit par l’article 9.1. D’ailleurs, le préambule de la Charte mentionne clairement que les droits et libertés de l’individu sont INSÉPARABLES des droits et libertés d’autrui et du bien-être général.
Par ailleurs, la Commission des droits de la personne évoquait la véritable signification de l’article 9.1 de la Charte comme suit: COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE: « CHARTE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE, ARTICLE 9.1: Par cet article, la Charte québécoise reconnaît donc que les droits et libertés de la personne sont inséparables des droits et libertés d'autrui. Dans l'exercice de ses droits et libertés, chacun a la responsabilité sociale de respecter ceux des personnes avec lesquelles il cohabite. Un groupe ne peut donc pas, au nom de ses convictions, avoir des comportements et/ou une attitude à l'encontre des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général. »
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, DOCUMENT DE RÉFLEXION SUR LA RELIGION DANS L’ESPACE PUBLIC QUÉBÉCOIS, P.14 « En résumé, la Charte permet, et même commande, que la liberté religieuse soit restreinte si la protection d’autres droits ou de l’intérêt collectif l’exige. Cependant, il n’existe aucun instrument législatif ou courant jurisprudentiel qui conférerait, de plein droit, une primauté ou une infériorité juridique à la liberté religieuse par rapport aux autres droits et libertés. » Puisque plus de 60% de la population est en faveur du retrait des signes religieux chez les employés de l’état, on peut donc conclure que l’imposition de ces signes irait catégoriquement à l’encontre du désir de laïcité de cette majorité et donc de l’intérêt collectif.
De plus, le Tribunal des droits de la personne ordonnait le 22 septembre 2006 l’arrêt de la récitation de la prière avant les réunions du conseil de la ville de Laval, spécifiant que cette pratique portait atteinte au droit et à la reconnaissance de la liberté de religion et de conscience de la plaignante, une citoyenne de Laval, qui avait initialement déposée une plainte au Mouvement laïc québécois. Puis, le 15 avril 2015, la Cour Suprême du Canada rendait sa décision dans la plainte d’un citoyen de la Ville de Saguenay, en appel de la cour d’appel du québec, interdisant la récitation de la prière avant les séances de conseil de ville de Saguenay. Encore cette fois, la décision fut rendue statuant que la prière portait atteinte au droit et à la reconnaissance de la liberté de religion et de conscience du plaignant. Si la prière porte atteinte au droit et à la reconnaissance de la liberté de religion et de conscience d’autrui, comment pourrait-il en être autrement avec les signes religieux???
Enfin, Messieurs Gérard Bouchard et Charles Taylor ont clairement mentionné dans leur rapport final ce qui suit: RAPPORT BOUCHARD TAYLOR, P.149: « La laïcité exige, nous l’avons vu, qu’il n’y ait pas de lien organique entre l’État et la religion ; l’État laïque doit prendre ses ordres du peuple, par l’intermédiaire des représentants élus, et non des Églises. La neutralité religieuse de l’État exige que les institutions publiques ne favorisent aucune religion et non que les individus qui les fréquentent relèguent à la sphère privée les manifestations de leur appartenance religieuse. Mais quelles sont les implications de la neutralité religieuse de l’État en ce qui a trait aux agents de l’ État, soit ceux qui le représentent et qui lui permettent d’accomplir ses fonctions ?
Cet enjeu ne pose pas de défi particulier aux conceptions plus rigides de la laïcité. Comme les agents de l’État interdisent dans certains cas le port de signes religieux chez les usagers, il va de soi qu’ils ne peuvent, de façon générale, afficher leurs convictions religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. On considère ainsi en France que le principe de laïcité justifie l’interdiction du port de signes religieux par les agents de l’État. Il s’agit toutefois d’une question difficile pour les modèles de laïcité ouverte qui cherchent de leur côté à mettre en équilibre les exigences d’une étroite protection de la liberté de conscience et de religion et celles de la nécessaire neutralité des institutions publiques. La raison la plus souvent invoquée pour interdire le port de signes religieux par les agents de l’État est que ceux-ci représentent l’État et doivent conséquemment incarner les valeurs dont il fait la promotion. L’État étant neutre par rapport aux différentes appartenances religieuses des citoyens, ses représentants doivent incarner cette neutralité. Cette position semble à première vue raisonnable et légitime. Les citoyens, en tant qu’individus, sont libres d’afficher leur appar- tenance religieuse tant dans la sphère privée que dans la sphère publique entendue au sens large. Mais en tant qu’agents de l’État, ils doivent accepter d’incarner ou de personnifier la neutralité de l’État envers les religions. Un employé de l’État portant un signe religieux visible pourrait donner l’impression qu’il sert son Église avant de servir l’État ou qu’il existe un lien organique entre l’État et sa communauté religieuse, alors qu’une règle uniforme interdisant le port de signes religieux permet pour sa part d’éviter l’apparence d’un conflit d’intérêts. »
À cette fin, nous réitérons notre refus que des enseignantes et enseignants arborant des signes religieux enseignent à nos enfants et appuyons le projet de loi 21.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.
Parents pour la laïcité de l’état:
Suzanne Charbonneau, Ferroudja Kaidi , Hakima Djermoune, Daniel Dulude, Lise Fontaine, Marie-Ève Mainville, Alain Norris, Hélène Bouthillette, Marie-Claude Fontaine, David Beaudry, David Beauchemin, Claude Dumas, Nicole Lacasse, Suzanne Cantin, Marie Paquette, Nathalie Lamer, Céline Pouliot, Stéphane Girard, Estelle Pelletier, Anny Brochu, Gilles Longpré, Ingrid Haegeman, Richard Gauthier, Gilles Rheault, Linda Duguay, Moreau Yves Depelteau, Sandra Dunn, Suzy Desgens, Diane Blain, Tina Rose, Martine St-Simon, Jean-François Bédard, Suzanne Villeneuve, René Blaireau, Éric Hamel, Bertrand, Desmeules, Estelle Bissonnette, Danielle Vanasse, Chantal Lavoie, Aline Gauthier, Ranger Carolle, Godon Marie-France Synnett Claire Tremblay, Richard Majeau, Ginette Gravel , Jocelyne Duquette, Micheline Lemieux, Jean-Yves Gauthier, Denise Bélanger, Georges Charbonneau, René Déry
c.c: •Journal de Montréal •Journal de Québec •Vigile Québec •Le Peuple •Le Devoir •La Presse •Horizon Québec Actuel •TVA •Radio-Canada •Me. Guy Bertrand
- Simon Jolin-Barrette, Ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion du Québec •François Legault, Premier Ministre du Québec
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CHARTE QUÉBÉCOISE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE:
« 3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association. »
« 9.1 Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice. »
« 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »
« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »
« 74. Peut porter plainte à la Commission toute personne qui se croit victime d’une violation des droits relevant de la compétence d’enquête de la Commission. Peuvent se regrouper pour porter plainte, plusieurs personnes qui se croient victimes d’une telle violation dans des circonstances analogues. La plainte doit être faite par écrit. La plainte peut être portée, pour le compte de la victime ou d’un groupe de victimes, par un organisme voué à la défense des droits et libertés de la personne ou au bien-être d’un groupement. Le consentement écrit de la victime ou des victimes est nécessaire, sauf s’il s’agit d’un cas d’exploitation de personnes âgées ou handicapées prévu au premier alinéa de l’article 48. »
Décision de la Cour Suprême du Canada dans le dossier de la prière à la ville de Saguenay:
https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/15288/index.do
Document de réflexion de la Commission des droits de la personne:
http://www.cdpdj.qc.ca/publications/Charte_religion_espace_public.pdf
Pétition de plus de 7800 signatures contre tous signes religieux chez les employés de l’état:
https://www.petitions24.net/non_a_tout_singne_religieux_au_quebec